Noveling Life

Univers D'Un Apprenti Conteur – Alsem WISEMAN

Oniriques Blues – Anecdote II

Le vieil homme et le ciel

De ses yeux blanchâtres et usés, le vieil homme observait le vol haché et inconstant de l’hirondelle.

Il avait eu une vie bien remplie. Une femme aimante, des fils et des filles désormais pères et mères à leur tour. Une passion pour métier. Qu’aurait-il pu demander de plus ? Peut-être que sa femme soit encore de ce monde. Mais elle était partie rassasiée de jours et heureuse, pour cela il était reconnaissant envers Dieu, ou serait-ce le destin.

Quoiqu’il en soit, le voilà qui était là, assis dans son jardin par cet après midi ensoleillé de juillet, à observer comme depuis qu’il n’était pas plus haut que trois pommes la voute céleste et son horizon lointain, inaccessible.

Il se rappela un autre jour, alors que plongé dans cette même contemplation céleste, avoir dit à son père : « Je volerais à travers les étoiles ! ». Celui-ci lui avait répondu, bourru, avec une tape sur l’épaule : « C’est bien mon fils. Des grands rêves font de grands hommes. »

Il avait cru en son rêve, avait persévéré. Dix huit ans plus tard, alors âgé de vingt-et-un ans, il était le plus jeune pilote admis sur les lignes aériennes du pays. Mais ce n’était pas cela son rêve, il avait dit les étoiles pas les nuages.

Ainsi cinq ans plus tard, il partait pour sa première mission dans l’espace à bord d’une navette supersonique. L’expérience fut saisissante, incroyable, inoubliable. De l’espace il avait vu la Terre et un ciel nouveau, un ciel au demeurant toujours insaisissable.

Distingué dans cette promotion des spationautes, l’on fit appel à ses services bien des fois par après. L’espace devint bientôt un terrain connu, ses missions une routine plaisante, cependant moins exaltante qu’auparavant.

Il avait fait tout ce qui était humainement possible de faire pour atteindre le ciel, mais étrangement il gardait toujours cette gêne, cette aspiration vers un rêve encore inachevé.

Quelle ne fut donc sa joie lorsque dans l’année de son cinquantième été, une innovation extraordinaire vint élargir les horizons de l’humanité. L’on avait en effet mis au point un moyen de voyager à vitesse superluminique. Le seuil de la lumière était désormais dépassé.

Notre homme joua alors de toute son influence pour se trouver une place dans l’engin révolutionnaire en partance pour les galaxies. Etonnamment, malgré les dangers que représentait ce genre de mission, il eut néanmoins l’appui de sa femme et de ses enfants. Tous savaient à quel point cela lui tenait à cœur. Aucun homme n’aurait pu rêver de mieux comme famille.

Le jour j arrivé, le vétéran de l’espace embarqua sur la navette superluminique. Son exaltation était à son comble, il allait enfin pouvoir arpenter les étoiles ; tel qu’il l’avait prédit à ses trois ans.

Le voyage fut époustouflant, il put voir les étoiles de plus près qu’aucun homme avant lui ne le fit. Il en vit certaines naitre, d’autres mourir. Il vit des trous noirs, des novas, des supernovas, des naines et des géantes. Grâce au procédé de brèche quantique dans l’hyper-espace, il explora Orion et sa fameuse Bételgeuse, le Sagittaire, l’Aigle et d’autres constellations de la Voie lactée.

Il découvrit même un nouveau monde. Une planète plus bleue que la Planète bleue, avec seul dix pourcent de terres émergées.

Notre homme dirigea la délégation terrienne, et il fut le premier homme non seulement à avoir marché sur Mars et bien d’autres planètes depuis, mais aussi et surtout à avoir offert la main de l’amitié à un extraterrestre, un habitant d’un autre monde que notre bonne vielle Terre.

Ces moments furent pour lui bien grandes en émotion. Il était conscient à son retour sur terre qu’aucun homme n’avait vécu ce qu’il avait vécu. Sa vie d’explorateur était unique. Il était conscient de ce privilège.

Mais encore une fois, il ressentait qu’il n’avait pas atteint ce qu’il désirait. Pourtant il ne se définissait pas comme un homme insatiable, un éternel insatisfait. Au contraire, il était content de tout ce qui lui était arrivé dans sa vie. Il en était heureux et reconnaissant. Mais cela n’empêchait que son rêve d’enfant restait inaccompli ; un désir secret et enfoui, inassouvi.

L’espace intergalactique et le ciel qu’il observait à partir de la terre était deux choses différentes avait-il fini pas comprendre.

Assis sur sa chaise à balancier dans son jardin tropical, observant le vol de l’hirondelle, une idée soudaine le frappa avec la force et la célérité de la foudre. Telle une illumination, elle lui dévoila enfin l’objet de sa si longue quête. Il se leva fébrile, sous l’émotion d’une découverte qui le comblait entièrement, de la façon la plus intègre qui soit. Tel le boddhisattva, il était désormais un être hors du cycle du désir, il avait en effet trouvé son Nirvana. Appuyé sur sa canne il marcha jusqu’à son bungalow. Ensuite à son bureau, il sortit une feuille et un stylo et consigna une seule phrase : « Ne me cherchez pas les enfants, j’ai trouvé le chemin des étoiles ; je vous aime ». « Votre père », signa-t-il au bas de la page.

Le vieil homme endossa alors son manteau kaki de scout, à ses pieds il chaussait ses sandales préférées ; muni de son bâton noueux, il quitta alors sa propriété pour toujours.

Son chemin le mena vers la montagne, celle qui lui obstruait l’horizon au couchant. L’ascension fut difficile, cependant arriver au sommet fut d’autant plus gratifiant. Le panorama était magnifique, l’air plus frais que de souvenir. En cet instant, il se sentit plus vivant que jamais. Une sorte de quintessence existentiel semblait déborder de tout son être, jaillir de tous ses pores, brûler dans chaque fibre de sa chevelure. Il prit une inspiration et emmagasina autant d’oxygène qu’il put, puis jeta un regard sur le précipice. Tout était parfait.

À ses pieds, le sol en contrebas se trouvait à plus d’un kilomètre. Enivré, le vieil homme se sentit investi d’une seconde nature, à l’image de l’hirondelle qu’il observât l’après midi-même.

Lorsqu’il perdit pied, il ne ressentit ni peur ni chagrin, juste le ravissement de véritablement voler, et la douce brise caressant son visage.

Peut-être alors marcha-t-il parmi les étoiles du ciel de son enfance. Mais cela, nul ne le sait…

Tags : ,

Réagissez