En attendant le retour héroïque d’Adnan et de Masha, je m’en vais vous présenter quelques unes de mes premières nouvelles et d’autres plus récentes, mais qui auront toutes un aspect commun, l’onirique…
J’espère bientôt avoir le concours d’un illustrateur pour les compléter…
L’esprit de la bouteille…
Joseph était assis sur le pas de sa porte, comme tous les soirs il s’attardait à regarder les passants. En effet, il n’avait pas grand-chose à faire par ailleurs. Depuis quelques temps, il était bien seul. Les marches usées de l’immeuble en ruine ne lui procuraient qu’un piètre appui : le froid mordant qui montait de la pierre séculaire avait fini par rendre insensible son postérieur. Pourtant il ne donnait pas signe de vouloir bouger de là, retrouver son appartement qui pourtant était chaud et douillet. Non, il lui fallait rester dehors.
Regarder les gens passer et respirer l’air frais du soir, lui faisaient comprendre qu’il y avait encore de la vie dans ce monde, et qu’il fallait qu’il s’accroche.
Le réverbère au coin de la rue jetait une lumière pâle, laiteuse et éthérée sur notre homme. Et il lui semblait que le jeu de personnes, allant et venant, tenait de plus en plus d’un spectacle onirique que d’une réalité présente et vécue. Les gens avançaient par mouvement fluide, comme au ralenti, ils semblaient flotter plus qu’ils ne marchaient. Leurs voix étaient devenues comme une musique douce et lointaine. Le froid semblait s’être dissipé et un petit vent douceâtre s’était levé.
Joseph oscillait toujours entre monter chez lui ou rester encore sur le pallier, lorsqu’il lui sembla remarquer quelque chose briller pas loin de là, sur le bord de la chaussée. Une bouteille de verre ? La seconde d’après, il n’y avait plus rien, et lui était revenu à la réalité. Les conversations des passants sonnèrent à nouveau plus claires à ses oreilles, la lumière du réverbère redevint plus vive et le froid plus mordant encore. Il gelait et son corps était tout ankylosé. Et pour le réveiller pour de bon, ce fut la voix sucrée d’une femme :
« Bonjour Joseph, qu’est-ce tu fais là, encore à te geler les os, c’est devenu une habitude on dirait !
― On se connaît ? sa voix était hésitante, à la fois parce qu’il était surpris mais aussi parce qu’il était subjugué par le charme qui émanait de son interlocutrice.
― Oh, mon Joseph, ne blesse pas mes sentiments en me laissant croire que tu m’aies oubliée. Regarde-moi, je suis Valentine, ta très chère Valentine.
― Oui mais bien sûr, où avais-je la tête ? Excuse-moi, Valentine. Je suis juste un peu fatigué… »
Il ne savait pas pourquoi il se comportait ainsi, jouant le distrait, au lieu de dire à la femme qu’il ne la connaissait pas du tout et qu’il ne l’avait jamais vue avant ce soir. Cependant, autre chose le poussait à agir ainsi, il se sentait dans le devoir d’improviser. Comme si cette heure était la sienne et qu’il ne fallait pas la laisser passer, cette occasion ne se présenterait peut-être plus. Et puis la femme, elle, semblait bien le connaître. Ce n’était pas sa faute à lui si elle se méprenait…
Déjà il était debout, le froid amassé dans sa chair s’était tout simplement volatilisé. Il chercha dans sa posture à paraître sous son meilleur jour, empruntant un sourire en coin qui se voulait à la fois indéchiffrable et séducteur.
― Et quel bon vent t’amène ? fit-il, d’un air presque détaché.
― Mais je suis venue te voir, nigaud. D’abord on va monter, je te fais un bon petit repas et ensuite on improvise. T’as une tête de déterré !
Il se raidit à la remarque. Était-ce là tout l’effet que ses manœuvres de séducteur avaient eu sur la jeune et jolie demoiselle ? Mais le temps n’était pas au déplaisir, il avait une visiteuse de marque, et de plus son hôte se proposait de le restaurer, eut-il jamais rêvé de mieux ?
Avant qu’il ne s’en rende compte, elle lui avait déjà pris le bras. Et le couple devant le vieil immeuble, à l’architecture remontant au moins au siècle passé, aurait fait penser à un tableau de l’ère romantique.
Epilogue
Garrick est un clochard, il n’aime pas qu’on le traite de sans-abri. Sa maison de carton et de bout de bois hétéroclite est à son sens plus qu’un abri. Il y a néanmoins une chose qu’il regrette, c’est qu’elle ne le protège pas assez du froid. Surtout depuis qu’il a perdu Moly. Sa douce chienne au pelage chaud et soyeux contre laquelle il se vautrait pendant les nuits de grande froidure. Il l’avait par ailleurs enterrée non loin de là, dans le parc juste en face, en fait. C’est de ce côté que son regard porte depuis un certain temps. La neige qui tombe, a commencé à prendre une apparence floue. L’autre imbécile de Robert, qui hurle depuis dix minutes parce qu’il ne retrouve plus sa petite bouteille de whisky, semble peu à peu devenir lointain. Le bruit presque ininterrompu des métros passant derrière sa baraque est devenu si vague qu’on pourrait croire à une mélodie sourde et harmonieuse. Et là, pas très loin sur le trottoir, dans la neige fondante, quelque chose qui brille distinctement. Il se frotte les yeux pour mieux voir. Plus rien. La neige est drue, Robert hurlant plus fou que jamais, le métro bruyant ; et pour tout à fait le ramener à la réalité, une voix sucrée de femme…
On le retrouverait deux jours plus tard, le visage figée en un sourire onirique, les doigts crispés fermement sur une étrange bouteille. Un flacon de spiritueux orné à la manière ancienne. Le logotype était une magnifique femme, aux mensurations avenantes, cambrée en une posture suggestive.
Il y avait cette inscription : «DEVIL LADY ! Pour homme seul, plaisir éternel garanti ! »
FIN